Gouverner par le chaos
Un article long mais à lire jusqu'au bout
"Les seuls risques terroristes réels en Occident viennent des services secrets occidentaux eux-mêmes"
Comme beaucoup de monde, j’ai été frappé par
ce que l’on a appelé l’affaire de Tarnac. Pour
rappel, fin 2008, une dizaine de jeunes gens vivant essentiellement
dans le village corrézien de Tarnac se fait arrêter de manière
extrêmement brutale et médiatique par
la police et les brigades de l’anti-terrorisme avec comme chef
d’inculpation le sabotage de voies ferrées de Trains à Grande Vitesse.
Le nom de Julien Coupat ressort
particulièrement car il est supposé être le cerveau de ce groupe appartenant
à l’ultra gauche et auteur d’un ouvrage intitulé
L’insurrection qui vient, rédigé sous le prête-nom de « Comité
invisible » et qui annoncerait les actes de terrorisme à venir.
Cette
publication d’inspiration plutôt situationniste fait suite à d’autres,
notamment celles du groupe Tiqqun, dont la plus
connue est la fameuse « théorie de la Jeune-Fille » (jeunisme et
féminisme comme outils de contrôle social). Ayant circulé moi-même
pendant des années dans les milieux d’extrême gauche,
d’abord à l’université de Paris 8
(Vincennes/Saint-Denis) où j’ai fait mes études, puis dans les squats
et les réseaux anarcho-autonomes-libertaires, pour finir
par l’action syndicaliste sur mon
lieu de travail, il m’est arrivé à plusieurs reprises, dans des soirées
ou des réunions, de croiser la route de certains
membres de cette nébuleuse intellectuelle et militante. Quelle ne
fut pas ma surprise quand je les ai vus placés au cœur de l’attention
médiatique, et en plus de cette façon ! Même si je
n’ai jamais été un de leurs amis proches, j’ai senti le vent du
boulet passer, car nous fréquentions les mêmes cercles. Je n’ai pas pu
m’empêcher de me sentir concerné par ce qui leur arrivait et j’ai donc commencé à suivre systématiquement tout ce qui touchait à cette affaire.
Dans la même période, quelqu’un m’avait demandé de faire une conférence sur l’ingénierie sociale, thème sur lequel je
travaillais depuis un certain temps. Quand il a commencé à apparaître que ce groupe de Tarnac n’était qu’un bouc émissaire, les dégradations de voies ferrées
ayant été revendiquées par des
écologistes allemands, je me suis mis à rédiger un texte qui associerait
les deux thèmes qui m’occupaient. Après l’annulation du
projet de conférence, je suis parti sur l’écriture d’un article assez long, qui a rapidement atteint la taille d’un opuscule. N’ayant pas encore d’éditeur à
l’époque, je l’ai mis directement sur Internet, avec le titre « Ingénierie sociale et mondialisation ». Par
solidarité et hommage envers ce groupe de
Tarnac, j’ai repris le prête-nom d’auteur de « Comité invisible »,
ce qui a attiré l’attention de quelques personnes, dont Aude Lancelin,
qui en a fait un article dans Le Nouvel
Observateur. Quand les éditions Max Milo l’ont publié dans une
version revue et augmentée, nous avons demandé à Éric Hazan, l’éditeur
du premier Comité invisible, s’il acceptait de nous accorder
la franchise, et il a refusé. D’où la publication sous anonymat, car
l’identité des auteurs n’a pas d’importance, seul compte le texte, que
j’ai écrit comme un manuel d’introduction à quelque
chose de méconnu, pas pour attirer l’attention sur moi.
2. Gouverner par le chaos porte pour sous-titre « Ingénierie sociale et mondialisation ». Qu’est-ce que l’ingénierie sociale ? En quoi est-elle liée à la
mondialisation ?
En un mot, l’ingénierie sociale, le social engineering, consiste à considérer le fait social comme un objet. Normalement, le
fait social est considéré comme subjectif. Un groupe social est constitué par
des sujets individuels, qui, ensemble se mettent à constituer un sujet
collectif.
Ça, c’est l’approche classique, qui induit un rapport
d’interlocution, puisqu’on est dans des rapports intersubjectifs, de
sujets à sujets. Ces rapports d’interlocution sont médiatisés
par le langage (du moins par un code) et peuvent être pacifiques, belliqueux, neutres, ou de toute autre nature. Dans tous
les cas, on s’adresse la parole, oralement ou par écrit, voire on s’apostrophe, on s’engueule ou on se menace, mais on reste
des « sujets parlants », comme dit la psychanalyse. En un mot, je produis des signes et j’attends qu’on me réponde.
À l’opposé, dans une approche d’ingénierie, la sphère du sujet parlant est littéralement
zappée. Tout est dé-subjectivé. Ici, on ne se parle
plus. Autrui n’est donc plus l’adresse d’une interlocution mais l’objet
d’une gestion, d’un contrôle, d’un
management. Les idées, les émotions, les vécus, tout est objectivé.
Autrui, mais aussi soi-même, peuvent alors être décrits comme des objets
« en chantier », c’est-à-dire à
reconfigurer, à reformater, à réinitialiser, un peu comme en
informatique, en génétique ou dans le BTP, d’où l’appellation
d’ingénierie, qui n’est même pas métaphorique. Il s’agit bel et bien de
« faire des travaux » sur la subjectivité, de recombiner les parties, etc. Cette mécanisation de l’humain vient directement de l’approche
cybernétique. Quelque part, c’est
le mépris maximum pour le vivant. En même temps, c’est le type de
relation à autrui que l’Occident libéral-libertaire essaie
de normaliser sous le concept de « mondialisation » : relation
instrumentale, de soi à soi, ou de soi à autrui.
Compte
tenu que sur un chantier il est souvent moins coûteux de tout casser et
de tout reconstruire à neuf que de modifier
l’ancien, on voit où cela peut mener dans les sociétés humaines.
Cela revient à normaliser un rapport à autrui complètement psychopathe.
1) Le sujet est un objet, 2) je peux le détruire pour un
bien supérieur (ou que j’estime tel). Je sais qu’il existe en France
un diplôme d’ingénierie sociale pour les gens qui veulent travailler
dans le social. Mais justement, le vrai travail social
est aux antipodes de l’esprit de l’ingénierie et consiste à
réinjecter du langage, de l’interlocution, du sujet parlant, donc du respect, dans les couches
populaires. À mon humble avis, le nom de ce diplôme devrait être changé.
3. Qui sont, aujourd’hui, les principaux ingénieurs sociaux ?
On pourrait reformuler : qui, aujourd’hui, considère autrui comme un objet ? Je cite pas mal de noms dans mon bouquin.
Ils se répartissent en catégories. Globalement, il faut distinguer :
1)
les « petites mains », qui font de l’ingénierie sociale au quotidien
dans leur travail et qui sont souvent des
idiots utiles du système, tous ces gens qui travaillent dans le
consulting, le management, le marketing, le business, la stratégie
militaire, le Renseignement, l’informatique de haut niveau
(intelligence artificielle, cryptologie), la robotique, la sécurité
des systèmes, etc. ;
2) les « concepteurs », qui sont souvent des esprits très brillants, plus ou moins conscients du danger de leurs
recherches, les Norbert Wiener, Kurt Lewin, Pavlov, Skinner, Albert Bandura et autres Gregory Bateson ;
3) les « salauds », eux-mêmes subdivisés en deux sous-catégories : les financiers dans la haute banque, avec leur
projet de gouvernement mondial, écrit noir sur blanc et assumé en toutes lettres par
un David Rockefeller dans ses Mémoires ; et les planificateurs tels
que Edward Bernays (et la « com’ »), Milton Friedman (et la
stratégie du choc), Zbigniew Brzezinski (et le tittytainement) ou
Georges Soros (et les révolutions colorées).
Quant
au corpus bibliographique, il est assez vaste et n’est pas toujours
perçu comme procédant d’une même inspiration. On peut
citer quelques célèbres textes aux origines douteuses, ce qui n’a à
ce stade aucune importance car c’est la méthodologie qu’il faut
retenir : Les Protocoles des Sages de Sion, ainsi que
Armes silencieuses pour guerres tranquilles, voire le plan
Pike-Mazini ; ensuite, tout ce qui tourne autour de la guerre
cognitive/guerre psychologique/guerre culturelle (Gramsci, la
mémétique) ; les publications de l’École de Guerre Économique fondée
par Christian Harbulot ; les recherches de l’historien de la publicité Stuart
Ewen, notamment son ouvrage Consciences sous influence qui synthétise beaucoup de données.
Deux textes récents définissent également des programmes : le mémo révélé par
Wikileaks
de Charles Rivkin, ambassadeur des USA en France, qui ambitionne de
reformater la culture française dans un sens plus américanophile en
s’appuyant sur les minorités, et l’étude pour la RAND
Corporation de la féministe Cheryl Benard, Civil democratic Islam. Partners resources and strategies, qui vise à adapter l’Islam à la modernité libérale
occidentale.
4. Politique et manipulation ne sont-elles pas traditionnellement liées ? L’ingénierie sociale possède-t-elle une
spécificité, un caractère de nouveauté ?
Du
point de vue de la morale, la politique s’adresse à des sujets que l’on
cherche à convaincre en s’adressant à leur raison.
Mais du point de vue de la Realpolitik, c’est plutôt la manipulation
qui l’emporte, et depuis longtemps effectivement. Ensuite, on peut
manipuler un corps social de deux façons : une façon
« conservatrice », à la Platon ou à la Machiavel, et une façon
« progressiste », à la Joseph Goebbels ou à la Bernard-Henri Lévy.
Autrement dit, il y a deux manières de faire
du contrôle social : par la construction d’un ordre conservateur simple, ou par la construction d’un ordre à
partir du chaos. L’ordre conservateur construit et impose un ordre unique, le même pour tout le monde, auquel on peut
s’opposer de l’extérieur.
En revanche, l’ordre à partir du chaos,
l’ordre
progressiste, détruit pour construire, il impose son ordre en semant
le désordre au préalable. C’est la différence entre contrôle social
simple et ingénierie sociale : la même chose pour
tout le monde, ou alors deux poids et deux mesures. En effet, dans
un cadre d’ingénierie, je ne dois pas être moi-même affecté par
la déstabilisation que je
provoque, au risque de ne plus pouvoir la provoquer. Je dois donc
réussir à me dissocier, à me désolidariser, à me distancier de l’objet
social que je déstabilise. L’opération de calcul de ce
découplage a pour nom « shock testing », test de choc. C’est le
complément organique de la stratégie du choc du capitalisme, dont la
méthodologie doit veiller à faire en sorte que les
chocs provoqués n’affectent pas en retour ceux qui les provoquent.
Luis de Miranda, dans L’art d’être libre au temps des automates, évoque
ce sujet assez confidentiel. Je vais tenter d’en résumer
les grandes lignes.
Quand
l’ordre s’impose à tout le monde et se répète à l’identique au fil du
temps, c’est le signe que l’on se trouve dans un
système de société traditionnel, conservateur. Mais quand mon ordre
et ma puissance s’appuient nécessairement sur la déstabilisation
d’autrui, c’est le signe qu’on est entré dans le mode de
fonctionnement du capitalisme, où les riches ne peuvent s’enrichir
qu’en appauvrissant les pauvres et en semant le chaos dans leur mode de vie. Pour faire mieux
accepter le chaos et la déstabilisation aux populations, on a appelé ça du « progressisme ».
Dans
le vocabulaire du management, c’est de la « conduite du changement »,
ou changement dirigé. L’ingénierie sociale
est le mode de contrôle social spécifique du capitalisme, qui
consiste donc à dissocier le système en lui appliquant des boucles de
feed-back positif. Pour revenir aux mécanismes de feed-back de
la cybernétique appliqués à la société, on a l’opposition entre ce
que l’on appelle les « boucles négatives », qui homogénéisent et
égalisent le système avec un effet de thermostat
régulateur qui oriente vers une moyenne, et les « boucles
positives » qui découplent le système en accusant les différences. C’est
cette accentuation des différences aboutissant à une
dissociation croissante des classes sociales qui est aujourd’hui
recherchée.
Ce travail perpétuel de désolidarisation intentionnelle de l’oligarchie vis-à-vis du peuple, Bourdieu l’a appelée « la
distinction ». Son analyse est poursuivie par les Pinçon-Charlot. De nos jours, cette distinction passe par la création
d’espaces de vie physiquement dissociés, en édifiant des apartheids de toutes sortes, mentaux ou physiques, comme le mur que les Israéliens dressent en
Palestine, ou les gated communities, ghettos de riches protégés par des milices privées et qui fleurissent dans de nombreux pays.
L’étude
de ces procédures d’ingénierie sociale permet de comprendre pourquoi il
n’y aura pas d’effondrement économique global à
la « Mad Max », c’est-à-dire hors de contrôle et qui impacterait
toutes les classes sociales, pas plus en France qu’en Suisse,
d’ailleurs. Pour en rester à ces deux pays, la France
permet d’envahir militairement d’autres pays (Afghanistan, Côte
d’Ivoire, Libye) et la Suisse est une place forte de la finance
cosmopolite en Europe. Le tourisme de luxe est également très
développé dans ces deux pays. Pourquoi voulez-vous que l’oligarchie
se mette à casser ses jouets ? Les pays sont des outils, des
instruments, et les diverses crises actuelles sont toutes
provoquées et sous contrôle.
Un
effondrement global impacterait aussi la qualité de vie de trop
nombreux riches, et ce n’est pas le but de la manœuvre. Les
dominants du système ne détruiront le système que dans la mesure où
ils ne seront pas touchés en retour. Ils ne sont pas masochistes et ne
vont pas se mettre à scier la branche sur laquelle ils
sont assis. Ce qu’ils veulent, c’est purger le système de leurs
adversaires mais sans être affectés eux-mêmes, donc sans détruire
intégralement le système, du moins dans un premier temps, car ils
appliqueront la politique de la terre brûlée s’ils voient qu’ils ont
perdu.
Pour éviter d’en arriver là, le processus de découplage des classes sociales piloté par
l’oligarchie doit se faire sans heurt et sans risque pour elle.
Cette atténuation des conséquences se modélise précisément en termes de
shock testing par
l’application du calcul balistique aux circuits
socioéconomiques afin de répondre à la question : comment minimiser le
choc en retour dans une partie
du système qui inflige un impact à une autre partie du système ?
La cybernétique a été inventée entre autres pour calculer et minimiser le choc en retour et l’effet de recul subis par
un véhicule ou un canon au moment d’un tir de missile. Les résultats
des tirs de projectiles ont été ensuite transposés dans une sorte de
balistique sociale, inscrite
dans un vrai programme de calcul des impacts. En effet, à tout choc
infligé, il y a un choc en retour, c’est une loi universelle. Quand on
inflige un coup à autrui, il y a toujours le contrecoup.
En termes balistiques : l’effet de recul.
L’oligarchie
essaie toujours de s’affranchir des limites et des conditionnements
universels, ce qui l’a conduite à se poser la
question : comment frapper autrui sans se faire mal soi-même ?
Comment détruire l’ennemi sans conséquences pour soi ? Comment réduire
le choc en retour quand je provoque une
crise ? Comment faire pour qu’il n’y ait aucun coût à infliger des
coups ? En termes hindouistes, comment supprimer tout karma ? En termes
monothéistes, comment abolir toute
culpabilité ? En termes orwelliens, comment s’extraire de la décence
commune ? En termes psychanalytiques, comment abolir tout surmoi, toute
vergogne, toute empathie, tout scrupule, et
devenir un parfait sociopathe
pervers ? En clair : comment les riches vont-ils s’y prendre pour
éliminer physiquement les pauvres sans que cela ne
provoque trop de remous, révoltes, révolutions, insurrections, donc
une instabilité trop forte du système global dans lequel ils vivent
aussi ? Pour l’oligarchie, la mixité sociale reste
l’ennemi numéro 1.
Afin
de réduire ces effets de choc en retour, il faut donc déjà dissocier
physiquement les circuits des flux de valeurs
économiques et symboliques, les infrastructures matérielles (eau,
gaz, électricité, transports, alimentation, éducation, etc.), ainsi que
les populations elles-mêmes en les faisant vivre dans des
espaces différenciés, avec des quartiers de riches et des quartiers
de pauvres. Cette désolidarisation existe déjà, mais pas encore
suffisamment. Les riches et les pauvres vivent encore de
manière trop entrelacée et imbriquée, trop solidaire, d’où l’attaque
massive de tout ce qui est facteur d’égalité, services publics,
États-nations, afin de tout privatiser et de morceler la
société en fonction du capital de chacun.
Ce patient travail de découplage des parties
a besoin de normaliser les chocs afin que le
peuple accepte de souffrir. Des laboratoires de sociologie
travaillent notamment sur la notion d’« acceptabilité du risque », ou
comment faire accepter le risque aux populations ?
On peut, par exemple, communiquer
sur « les excès » du principe de précaution, comme le font Jean de
Kervasdoué dans La peur est au-dessus de nos
moyens. Pour en finir avec le principe de précaution, ou Alain
Madelin dans divers éditoriaux. Le principe de précaution et son arsenal
juridique sont des problèmes pour l’oligarchie car ils
protègent le peuple contre les risques qu’elle veut lui faire
courir. Le principe de précaution, comme tout dispositif légal, induit
une certaine rigidité qui fait obstacle à la flexibilité
libérale et à la « société liquide » (Zygmunt Bauman) que le Pouvoir
cherche à normaliser. Ce principe fait donc obstacle à une docilité
totale, à l’instrumentalisation complète et à la
réduction du peuple à un objet complètement plastique. On remarquera
que cette acceptation du risque est elle-même toujours découplée. Les
producteurs d’OGM ou de pesticides chimiques mangent
bio, comme l’ont prouvé des activistes américains en fouillant leurs
poubelles. Et quand il était premier ministre, Tony Blair voulait faire
interdire des compléments alimentaires que lui-même et
ses enfants utilisaient.
5. Quelles sont ses méthodes ? Aidée par
les découvertes scientifiques –
notamment cybernétique et psychologie sociale – l’ingénierie
sociale, arme du pouvoir, sait anticiper sur nos réactions,
écrivez-vous. Cela peut même aller jusqu’à les provoquer. Pourriez-vous
développer ?
On
peut effectivement programmer des algorithmes comportementaux.
Comment ? Pour l’espèce humaine, la structure élémentaire
de la perception du monde est un rapport de dualité. Pour que nous
percevions un monde qui fasse sens, quel que soit son contenu, il faut
percevoir une structure d’opposition entre au moins deux
choses : intérieur/extérieur, yin/yang, papa/maman, jour/nuit,
Bien/Mal, ami/ennemi, etc. L’astuce du management des perceptions
consiste à produire, non pas un discours auquel on peut
s’opposer, mais d’emblée les deux discours situés aux deux pôles de
la dualité, afin de mettre en scène une pseudo opposition complète, un
faux débat, ce qui permet de prendre le contrôle complet
du monde de quelqu’un. À ce stade, on est déjà au-delà de la simple
description scientifique des réactions et des comportements, on passe à
leur conditionnement.
Le socle théorique de l’ingénierie sociale est fourni par les sciences humaines et sociales,
et plus particulièrement les
approches comportementales ou inspirées des sciences naturelles. La
grosse différence avec ces sciences vient de ce que l’on ne se
contente pas de décrire les choses, on intervient dessus, on les
modifie. C’est ce que l’on appelle aussi une « logique proactive ». Afin
d’anticiper sur les comportements populaires et
de les garder sous contrôle, il faut aller plus loin que la simple
observation et le recueil d’informations, en un mot le renseignement ;
il faut aller jusqu’à provoquer ces comportements, y
compris les comportements d’opposition, critiques et
contradictoires. Cette démarche proactive est celle de la communauté du
Renseignement, en particulier
depuis les années 1950 et le programme Cointelpro (Counter
Intelligence Program), élaboré aux États-Unis dans le cadre du
maccartisme et de la chasse aux sorcières anti-communiste. Les services
secrets américains (FBI, CIA) ont ainsi consciemment créé pour la
jeunesse une contre-culture beatnick et hippie totalement inoffensive, à
base d’expressionisme abstrait (Pollock, De Kooning), de
« bougisme » (Kerouac), d’art pop psychédélique et de produits
stupéfiants incapacitants, comme un circuit de dérivation hors de
l’institution du potentiel de subversion autrement plus
dangereux que représentait le communisme orthodoxe, qui était situé,
lui, au cœur de l’institution.
La même méthodologie est employée de nos jours, avec les Indignés, par
exemple. Il y a
évidemment des gens sincères dans ce mouvement, mais ils se font
manipuler. Le Système cherche à éliminer toute incertitude, toute
critique ; pour ce faire, il crée lui-même une pseudo
incertitude et une pseudo critique, lesquelles seront surmédiatisées
afin de monopoliser l’attention et d’attirer les énergies
potentiellement critiques dans une visibilité hors système qui les
neutralise. En termes hégéliens, la thèse produit elle-même son
antithèse ; de la sorte, la thèse est sûre de garder le contrôle de sa
propre contradiction antithétique ; elle est donc
sûre de ne jamais être contredite fondamentalement, seulement à la
marge, et de garder le contrôle tout court.
Le Pouvoir en vient donc à organiser lui-même sa propre contestation. Il met en scène de la pseudo incertitude, avec des faux
terroristes (Tarnac, 11 Septembre, etc.) et des faux mouvements d’opposition. Par
exemple, en France, le Ministère de l’Intérieur ne se contente pas
d’infiltrer
les milieux gauchistes, il organise lui-même les grèves et les
manifestations au moyen de ses indicateurs et agents doubles (naguère
trotskistes, aujourd’hui plutôt libertaires). Depuis les
grandes grèves de 1995 et le « Plus jamais ça ! » de Juppé, de gros
moyens ont été déployés. Toute l’extrême gauche, que je connais bien,
est aujourd’hui complètement sous
influence, noyautée et infiltrée par la police. J’en ai eu des preuves au fil du temps. On en voit la conséquence dans l’inefficacité totale du syndicalisme
révolutionnaire, qui a complètement cédé sa place au syndicalisme de cogestion réformiste.
Le
seul type de grève vraiment efficace serait une grève pendant laquelle
on ne perd pas d’argent. On peut ainsi la poursuivre
indéfiniment. C’est une « grève durable », ce qu’on appelle
généralement une grève du zèle. On vient au travail, mais on ne fait
rien, ou presque, et surtout on organise collectivement
cette absence de travail, évidemment sans préavis de grève ni aucune
déclaration officielle. Ce ne serait guère que de la désobéissance
civile de bon aloi. Arriver à cette conclusion et commencer
à la mettre en pratique est juste du bon sens, mais tout est fait au
niveau des directions syndicales pour qu’on n’y arrive jamais.
Cette pro-activité du Renseignement va au-delà de l’organisation de grèves inefficaces et de manifs purement carnavalesques, et
même au-delà de l’organisation artificielle d’émeutes en banlieue au moyen de racailles payées en barrettes de shit par les flics pour les aider à compléter
leurs propres effectifs de casseurs en civil (ou « appariteurs »),
cela touche aussi les idées, avec la diffusion de virus mentaux
incapacitants
conçus à l’image du système, tels que la théorie du genre, nouvelle
mouture du féminisme d’antan mais en plus hystérique encore, à la sauce
« girl power » et « gay friendly ».
Le résultat est devant nous : il n’y a plus de différence
aujourd’hui entre la gauche et les Spice Girls. Hollande, Cohn-Bendit,
Besancenot et Lady Gaga : même combat !
Dans la continuité, j’observe aussi depuis des années un gros travail de fond accompli pour que l’extrême gauche devienne
pro-israélienne. On part de loin et cela semble improbable mais le retournement s’opère petit à petit. Comment s’y prennent les agents d’influence ? On
évite soigneusement de se mettre à militer explicitement CONTRE la cause palestinienne, cela paraîtrait
louche, et à raison, mais en revanche on se met à
militer à fond POUR la cause des homos et des transsexuels. Il faut
qu’en cas de radicalisation des tensions, si l’extrême gauche est sommée
de choisir un camp définitif entre les combattants
barbus du Hezbollah et la gay-pride de Tel-Aviv, ce soit la seconde
qui l’emporte parce qu’elle aura été
rendue plus familière. Sur tous ces sujets, on lira
avec fruit Frédéric Charpier, La CIA en France : 60 ans d’ingérence
dans les affaires françaises, ou l’article de Christian Bouchet, « À
l’extrême gauche de l’oncle Sam ».
Cela
dit, l’extrême droite n’est pas en reste, question noyautage et
infiltration, comme le prouve l’obsession
« identitaire », inventée dans les think-tanks du Pouvoir pour
remplacer le « communautarisme » devenu péjoratif avec le temps.
Aujourd’hui, l’ingénierie sociale s’appuie
beaucoup sur la question « identitaire », de gauche comme de droite,
notamment par la production de
rivalités identitaires dans les classes populaires
afin de les morceler, d’empêcher leur organisation et de « diviser
pour régner ». Il y a une théorie identitaire de gauche, avec les
questions de genre et de sexe, et une théorie
identitaire de droite, avec les questions de race et de culture.
Pendant qu’on perd du temps avec ces questions-là dans des débats « pour
ou contre » surmédiatisés et complètement
oiseux, les questions socioéconomiques sérieuses ne sont pas
abordées et le Pouvoir continue d’avancer ses pions. Les bonnes vieilles
ficelles sont usées jusqu’à la corde mais fonctionnent
toujours, cela ne cesse de m’étonner.
En effet, depuis la nuit des temps, la guerre cognitive menée par
le Pouvoir contre le peuple
consiste toujours : 1) à essentialiser les petites différences
identitaires pour les dresser les unes contre les autres, 2) à coloniser
son « temps de cerveau disponible » avec du
bruit informationnel et des questions anecdotiques ou secondaires
comme leurres de diversion à ce qui est important. La question des
identités est au cœur du lien social, évidemment, comme le
montrent les sciences humaines, mais ces identités ne définissent
votre destin que dans les systèmes pré-capitalistes ; quand c’est votre
compte en banque qui définit vos conditions de vie
réelles, donc tout ce qui vous arrivera dans la vie, il est
illégitime d’en parler autant. Pour
approfondir le sujet, je renvoie le lecteur à l’article
« Les rivalités identitaires comme instrument de contrôle social »,
publié dans le collectif Le 11 Septembre n’a pas eu lieu…, aux éditions
Le Retour aux sources.
Cela
dit, il y a encore pire que de recevoir l’étiquette de facho, qui est
bien commode et rassurante finalement, car les rôles
sont clairement définis. D’ailleurs, à ce propos, un contact m’a
attesté que la campagne sur le thème de l’antifascisme (les anti-fa, Ras
l’front, « Conspis hors de nos villes », etc.)
relancée récemment dans les milieux d’extrême gauche a été en fait
élaborée depuis un brainstorming commun de la DCRI (les ex-RG) et du
journal Le Monde pour tenter de dénigrer toute critique
trop appuyée du système.
Déjà, son mode d’apparition
met la puce à l’oreille, car il est beaucoup trop concerté et
discipliné pour être une émergence spontanée de l’extrême gauche
(laquelle est trop individualiste et désorganisée pour se trouver en
état de lancer ce genre de campagne), avec tous ses éléments
de langage préfabriqués et livrés « clé en mains » : accusation de
« confusionnisme » droite/gauche quand on veut faire la synthèse du
meilleur (façon CNR ou
Soral) ; accusation des gouvernements « autoritaires » et
« populistes », de Chavez à Poutine, pour dissuader de les prendre comme
modèles ; accusations en vrac
d’antisémitisme, de misogynie, d’homophobie ou de théorie du
complot, etc. Bref, le pseudo débat entre les fachos et les gauchos est
une routine de contrôle social sans risque et bien huilée,
entièrement fondée sur la vieille technique bien connue de
« disqualification avant débat », qui consiste à attaquer l’auteur du
message pour éviter d’avoir à examiner la pertinence
intrinsèque du message.
Maintenant,
si vous voulez vraiment mettre les gens mal à l’aise dans un dîner en
ville, faites un tour de table en demandant à
chacun combien il gagne, puis orientez la discussion sur les
différences de revenus et de capital, les clivages et les hiérarchies
que cela induit en termes de qualité de vie, voire d’espérance
de vie, et est-ce que c’est bien mérité ?! Vous verrez le résultat.
J’ai déjà testé, ambiance marécageuse ou électrique assurée (c’est
selon). C’est encore pire que de passer pour le facho
de service car vous ne correspondez à aucun rôle prédéfini.
6. Dès lors, comment éviter le piège du contrôle ?
Justement,
en ne rentrant dans aucun rôle prédéfini. Le principe de la « gestion
de risques », qui est une branche de
notre étude, consiste à réduire l’incertitude, en créant de la
fausse incertitude si nécessaire. Il faut donc réinjecter de la vraie
incertitude dans le système. Réinjecter de la vraie
contradiction. Comment être sûr que c’est de la vraie
contradiction ? Comment être sûr que je ne suis pas une antithèse
générée de manière proactive, une fausse contradiction ? La seule
solution consiste à s’extraire totalement du système
thèse/antithèse. N’être la contradiction de rien. N’être l’antithèse de
rien. Comment ? Ne pas se situer dans des rapports « pour ou
contre » quoi que ce soit. Pour cela, il faut apprendre à
méta-communiquer : quand je suis face à un débat, « pour » ou « contre »
quelque chose, ne pas prendre
parti mais monter à l’échelle logique supérieure pour découvrir le tronc commun des thèses contradictoires en présence.
En
général, le « pour » et le « contre » possèdent un présupposé commun,
qui est au moins la pertinence du
débat en question. Puis, s’extraire de ce tronc commun également. À
ce moment-là, on sort d’un débat d’idées pour aller voir la structure de
ce débat d’idées et si cette structure correspond à
quelque chose dans les faits. Questionner l’origine du débat plutôt
que de rentrer dedans. On fait alors de l’analyse de systèmes
(systémique et cybernétique), ou de l’analyse de modèles, dont
l’ossature obéit à la théorie mathématique des ensembles : les
systèmes se chevauchent ou s’emboîtent les uns dans les autres et il y a
des systèmes de systèmes, toujours plus intégrateurs,
qui permettent de dégager la structure des structures, etc. C’est
aussi la logique du Concept et de l’Esprit, qui consiste à subsumer
toujours plus.
Cette
procédure de méta-communication permanente sur les idées doit en outre
être confrontée à des faits. La base à laquelle
nous revenons toujours doit être neutre sur le plan des idées :
sortir du jeu des contradictions et des antithèses pour penser les
choses uniquement au regard des faits concrets. Les faits,
rien que les faits, tous les faits. Ça, c’est totalement
irrécupérable. La subversion maximum, à jamais irrécupérable, c’est
juste la bonne vieille méthode scientifique expérimentale : des
raisonnements logiques appuyés sur des faits concrets.
Attention, pas de malentendu, je ne parle pas de scientisme ou de positivisme. Je
parle d’une attitude simplement
non idéologique face au monde, c’est-à-dire avec le moins d’idées
possible. Je me méfie comme de la peste des idées et des
systèmes d’idées (les idéologies). Les idées et les théories, on ne
peut pas s’en passer totalement, mais il faut toujours garder présent à
l’esprit que ce ne sont que des hypothèses, plus ou
moins cohérentes et consistantes, mais des hypothèses seulement. Les
idées et les hypothèses doivent toujours être soumises à l’autorité des
faits bruts, l’autorité du Réel, la seule autorité que
je reconnaisse, pour ma part. (À une époque, je voulais lancer un mouvement baptisé « La Communauté du Réel », d’après l’article sur la reality-based
community de Ron Suskind, mais l’initiative est restée foireuse, faute de temps et de moyens.)
Le
Réel, c’est la manière dont les choses sont, indépendamment de ce que
l’on voudrait qu’elles soient. Autres définitions du
Réel, celles de la topologie lacanienne : « Ce qui revient toujours à
la même place », « Ce qui ne se contrôle pas ». Je milite donc en
faveur d’un empirisme intégral, un
« factualisme » avec le moins d’idées possibles, car ce sont les
idées et les idéologies qui se manipulent, qui se mettent en scène dans
des débats « pour ou contre ». Il faut
donc savoir rester « trivial » au sens épistémologique, c’est-à-dire
au ras des pâquerettes, et sans idées préconçues. Je défends donc une
méthode vide, sans contenu, sans idées, ce qui
réduit considérablement les risques d’être manipulé. Cette vision de
la méthode scientifique, composée d’une méta-communication sur les
systèmes, c’est-à-dire sur nos formes mentales, associée à
un retour constant à la trivialité factuelle, est également assez
proche du bouddhisme zen. Pour tout dire, c’est juste du « bon sens ».
7. La désinformation, expliquez-vous, passe notamment par les glissements sémantiques
via la promotion de nouveaux mots à des fins de propagande. Qu’en est-il ?
Pour le Pouvoir, la manipulation du langage en général est essentielle car c’est de cette façon-là qu’il construit une réalité.
Je disais au début de l’interview que dans un cadre d’ingénierie, on ne se parle plus. Pour être plus précis, on peut continuer de se parler « en apparence »,
mais c’est du pseudo langage, de la langue de bois ou de coton, du
langage qui n’est plus indexé sur
le Réel. Les grands totalitarismes du 20ème siècle ont fait avancer
l’art de la déréalisation au moyen du langage jusqu’à une extrême
sophistication. Orwell a tout dit avec son concept de
Novlangue, mais on le complétera judicieusement par les ouvrages de Victor Klemperer, Éric Hazan et Christian Salmon.
Pourquoi
le storytelling marche-t-il aussi bien ? Comment se fait-il que nous
soyons sensibles à ce point aux histoires
qu’on nous raconte et que ces narrations souvent fictives pèsent
malgré tout d’un tel poids dans nos vies et sur la marche du monde ?
Cela vient du fait que l’homo sapiens n’est jamais en
contact direct avec le réel brut. Nous n’avons accès au réel que par
l’intermédiaire d’une construction sémantique, langagière, qui fournit
la représentation,
la carte du territoire dans lequel nous subsistons. Cette carte,
c’est l’ensemble de ce que nous savons sur le monde, c’est la grille de
lecture culturelle que nous apprenons et perfectionnons
depuis la naissance et sans laquelle nous ne pourrions survivre.
Pour plus d’explications sur ces affaires de sémiotique appliquée à la
psychogenèse, on se reportera aux recherches de Dany-Robert
Dufour, notamment dans On achève bien les hommes. Je vais essayer de
résumer.
Tout part du fait que l’espèce humaine est néotène, c’est-à-dire prématurée. L’héritage
génétique seul n’est rien, il a besoin d’être activé par de la fiction. Dans une vie d’Homme, la fiction représente une part
plus importante que le Réel. La mise en fiction du vécu humain est inscrite dans notre condition de sujets parlants.
En fait, tout ce qui fait Sens relève peu
ou prou de la fiction. Cela inclut tous les grands récits
identitaires et communautaires, tous les grands mythes historiques,
religieux, politiques, mémoriels, et pas seulement ceux dont la
censure interdit le questionnement depuis quelques années. Pour
comprendre cela, il faut examiner les mécanismes de l’acquisition du
langage, puisqu’il n’y a pas de production de sens sans un
code, sans un véhicule langagier. À la naissance, sur un plan
strictement génétique, le bébé est capable de produire tous les sons.
Or, aucune langue humaine ne contient tous les sons. Pour
entrer dans une langue et commencer à échanger du sens, le bébé doit
donc apprendre à inhiber certaines potentialités génétiques, certaines
potentialités réelles et naturelles, au bénéfice du
renforcement d’autres potentialités génétiques. L’entrée dans le
langage, l’entrée dans le sens, suppose donc une négation sélective au
sein de l’héritage génétique, dans l’éventail des
potentialités qui nous sont léguées, ce qui constitue une sorte de
dénaturation.
La
nature est trop riche, l’entrée dans la culture et le sens en constitue
une réduction et une orientation spécifique, aux
dépens d’une autre orientation. Cette réduction, ou limitation, ou
dénaturation, ou information (au sens de mise en forme) du matériel
génétique inné, correspond aussi au mécanisme de la
socialisation. L’apprentissage social, l’acquis post-natal,
l’éducation, la culture, en un mot la « compétence langagière »,
imposent des limites et inhibent sélectivement l’héritage
naturel, qui sans cette influence extérieure reste anarchique,
amorphe, non-structuré, « lettre morte ». C’est cette information
inhibitrice qui donne du Sens. Chez les humains,
l’héritage génétique tout seul ne conduit qu’à l’autisme et à une
absence handicapante de socialisation. La socialisation langagière et
sémantique constitue donc en elle-même une
déréalisation : le vécu natif, originel, génétique, du Réel brut
naturel n’est pas pris en bloc, il n’est pas respecté dans son intégrité
totale, on n’en retient que certaines parties, mais ce mécanisme sélectif passe inaperçu et la « partie », la construction sélective, est prise pour le
« tout ».
En
effet, pour que le code culturel au moyen duquel nous communiquons soit
crédible et fonctionnel, il doit reposer sur le
postulat illusoire de son adéquation pleine et entière au Réel :
oublier que c’est une convention pour se mettre à croire que c’est un
absolu. Si je commence à douter du langage que
j’utilise, c’est non seulement ma capacité au lien social qui
s’effondre, mais encore tout forme de « sens de la vie » (processus de
la psychose). Pour entrer dans l’univers du Sens,
dans l’univers des symboles et des codes langagiers, il faut donc
nier sélectivement le Réel tout en croyant qu’on le respecte. Pour
continuer à utiliser la carte, il faut croire qu’elle
correspond au territoire.
8. Pourquoi conclure par
« L’Appel des résistants » ? Stéphane Hessel
n’a-t-il pas, comme le rappelle Jean-Claude Michéa dans Le complexe
d’Orphée, fourni plusieurs membres à la Commission trilatérale via son
club Jean Moulin ?
Stéphane Hessel n’est pas le seul signataire de cet « Appel des résistants », ils sont une quinzaine. Par
ailleurs, quand j’ai écrit mon bouquin en 2008-2009, je ne savais même
pas qui était Stéphane Hessel, en dehors d’un nom mêlé à d’autres au bas
d’un texte. Rappelons le
contexte. L’Appel des résistants, écrit en 2004, a été rédigé pour
commémorer le 60ème anniversaire du Programme du Conseil national de la
Résistance, écrit en 1944. Ce programme du CNR, de son
vrai titre Les jours heureux, est un texte absolument
extraordinaire, merveilleux, époustouflant d’intelligence et de bonté,
tout le génie français est là, dans cette alliance entre gaullistes et
communistes, qui vous donne la chair de poule et vous fait monter
les larmes aux yeux.
À
moins d’être un salaud, on ne peut qu’être d’accord avec ce texte et
ressentir l’urgence d’en faire la promotion ; mais
bien qu’il n’ait que la taille d’un manifeste, ses quarante pages
interdisent de pouvoir le citer dans son intégralité. Je voulais
néanmoins rappeler son existence et me placer sous son
patronage. Faute de place, je me suis contenté de reproduire l’Appel
des résistants, qui en fournit un résumé sur deux pages. En plus
synthétique encore, notons que l’on retrouve également tout
l’esprit du Conseil national de la Résistance dans la maxime assez
géniale d’Égalité et réconciliation, le mouvement fondé par Alain Soral : « Gauche
du travail, droite des valeurs ».
9. Passons au plan géopolitique. Les récents bouleversements en Italie, Grèce, la loi NDAA d’Obama peuvent-ils
s’interpréter en termes d’ingénierie sociale ?
Du
point de vue de l’oligarchie occidentale, dont Obama et ses conseillers
sont des représentants, un monde multipolaire, un
monde multiculturel, est intolérable car il n’est pas totalement
sous contrôle, sous son contrôle. Un monde multipolaire rappelle à
l’oligarchie le monde réel en la rappelant à certaines limites,
aux frontières, à la contradiction, au fait qu’elle ne domine pas le
monde entièrement. Pour l’oligarchie capitaliste, le monde doit être Un
et sans frontières. Telle est sa vision de la
géopolitique. Pour y parvenir, elle s’emploie donc à détruire le monde tel qu’il est pour le remplacer par le monde tel
qu’elle voudrait qu’il soit.
Méthodologiquement,
dans son œuvre de destruction, elle fait usage de la « stratégie du
choc » et du « management
de la terreur ». La Terror management theory est une branche des
sciences humaines née en 1986 sous l’impulsion de trois chercheurs
américains Greenberg, Pyszczynski et Solomon. Cette
approche gestionnaire, rationnelle et scientifique de la terreur
propose une analyse des mécanismes psychologiques et comportementaux de
la peur et de la panique. Au niveau d’une ingénierie, on
peut en tirer des applications permettant de répondre à certaines
questions. Comment terroriser et paniquer autrui de la manière la plus
efficace possible ? Comment rendre les gens
complètement fous, comment les pousser au suicide ou à s’entretuer,
sans que cela ne m’impacte en retour, évidemment ?
Conformément à ce que nous disions plus haut sur le langage, la représentation est parfois
suffisante pour provoquer les mêmes effets que le réel. Par
exemple, ce que l’on appelle communément la « dette publique » n’existe
que dans le
langage. Mais du fait que l’oligarchie ne pouvait pas y faire croire
du jour au lendemain sans un minimum de mise en scène, il a fallu
passer par le stratagème
de la crise de 2007-2008, au moyen de laquelle les banques ont
surendetté les États avec l’argent qui a servi à les sauver, elles.
Créancières et débitrices en même temps, les banques nous font
entrer dans un système circulaire d’auto-confirmation performative
sans rapport avec le réel et de nature profondément hallucinatoire et
psychotique.
Jean-Claude Paye est très bon pour analyser ces mécanismes de folie sociale. Si ça marche quand même, c’est uniquement
parce que la police et l’armée
sont là pour protéger les banquiers, qui ne sont que des types dans des
bureaux (ou des châteaux), et sont donc par
eux-mêmes totalement impuissants à imposer quoi que ce soit. Le pouvoir
de la finance repose entièrement sur ce que l’on appelle communément le
bluff, comme au Poker.
D’ailleurs, on attribue à Mayer Rothschild, le fondateur de la
dynastie, la remarque suivante : « Prenez l’apparence du pouvoir, et on ne tardera pas
à vous le donner réellement. »
Ce
qui marche pour le pouvoir fonctionne également pour le danger. La
capacité à « faire croire » (au pouvoir ou au
danger) est fondamentale puisque la représentation du danger
provoque à peu près les mêmes effets anxiogènes que le danger réel. D’où
le fait que l’anti-terrorisme, dont le Patriot act, la NDAA
ou nos lois scélérates en France sont des avatars, n’ait pas besoin
de vrais terroristes. D’où le fait qu’il s’en passe effectivement !
Personnellement, quand j’entends parler de « menace terroriste », je souris.
Pendant des années, je suis allé à l’École militaire, située en face de la tour Eiffel à Paris,
pour y écouter des colloques et des conférences sur le
Renseignement, les Forces spéciales, la stratégie militaire, la
géopolitique et la sécurité. Ces événements rassemblent le gratin de
l’armée, de la police, des services secrets, de la politique,
du patronat et du journalisme. La « menace terroriste islamiste »
constitue le fil conducteur de tous les débats. Bizarrement, on rentre
dans ces conférences sur simple inscription
par Internet et présentation
rapide d’une pièce d’identité banale et aisément falsifiable à l’entrée.
Il n’y a aucun portique détecteur de métaux, aucun scanner
corporel ni tapis roulant pour les sacs et valises, aucun chien
renifleur, et je n’ai pas souvenir d’une seule caméra de
vidéosurveillance. Cohérence et vraisemblance semblent donc secondaires,
y
compris de la part des
professionnels de la sécurité puisqu’ils ne prennent même pas la peine
de se protéger des dangers dont ils dissertent complaisamment
par ailleurs.
En réalité, il n’y a AUCUNE menace terroriste islamiste. Zéro, rien, et ces professionnels le savent pertinemment, raison pour
laquelle ils s’épargnent à eux-mêmes les nuisances tatillonnes de la paranoïa sécuritaire. Pour ma part,
j’ai suffisamment étudié la question : les seuls risques terroristes
réels en Occident viennent des services secrets occidentaux eux-mêmes,
et en particulier anglo-saxons et
israéliens. Il suffit de se cultiver un peu sur les méthodes de travail
des services spéciaux pour apprendre que l’attentat sous faux drapeau
(false flag), c’est-à-dire faussement attribué à quelqu’un d’autre,
est d’un usage complètement banalisé depuis des siècles. Les emprunts et
les abus d’identité, ainsi que les identités
entièrement inventées de toutes pièces, ce que l’on appelle dans le
jargon des « légendes », sont le pain quotidien du boulot dans le
Renseignement.
La menace terroriste en Occident est donc largement une fiction, comme la dette publique, mais qui s’inscrit parfaitement
dans ce management de la « terreur virtuelle ». Tous les événements
géopolitiques que vous mentionnez sont les symptômes de ce qu’il faut
bien
appeler une véritable ingénierie de la peur appliquée aux peuples,
mais sans aucune raison objective, sans raison réelle, il faut ne jamais
cesser de le dire. La puissance de la
« communication », c’est-à-dire des médias, fait tout. Ce
raffinement proprement satanique dans le sadisme révèle que l’oligarchie
occidentale atlantiste est passée bien au-delà de la
décadence, elle en est au stade de la dégénérescence et de la
sociopathie généralisée. Pour continuer sur ces sujets, à côté de
l’ouvrage bien connu de Naomi Klein, j’en recommande d’autres, tout
aussi indispensables, Choc et simulacre de Michel Drac, et La
stratégie du chaos de Michel Collon. Si nos titres font écho les uns aux autres, ce doit être le
Zeitgeist…
10. Quelle grille d’analyse appliquer aux révolutions colorées ?
Il faut partir
d’un principe. C’est un raisonnement déductif mais appuyé sur des
observations empiriques : toutes les révolutions authentiques,
venant vraiment du peuple, ont échoué ; toutes les révolutions qui ont
marché étaient des « révolutions
colorées » menées par des
« minorités actives ». Ce fut le cas de la Révolution américaine, de la
nôtre en 1789, puis 1917 en Russie. Cela
commence à se savoir également pour Mai 68 (cf. Alain Peyrefitte ;
Roger Frey ; L’Express n°2437), dont le but était d’ouvrir la France aux
réseaux américano-israéliens. Ces minorités
actives, composées de lobbies et de groupes d’influence divers,
surfent sur la colère du peuple, colère parfois justifiée mais aussi parfois
complètement fabriquée, ou amplifiée. « Agiter le peuple avant de s’en
servir », comme disait Talleyrand. Ensuite, usant des médias comme de
caisses de
résonnance, ces minorités actives filment en gros plan une zone
circonscrite où les gens s’agitent effectivement, comme la place Tahrir
au Caire, pendant que le reste de la ville et du pays fait
la sieste, ainsi que me l’a rapporté un contact en Égypte. On a eu
le même genre de manip’ en Libye, avec la place centrale de Tripoli
reconstituée en studio au Qatar, en Russie avec des images
fausses de manifestations anti-Poutine, et en Syrie, évidemment.
Même quand le peuple souffre vraiment, sa capacité à plier et à ne pas se révolter « spontanément », sa capacité
d’inertie, est presque infinie. Il arrive cependant parfois qu’un leader charismatique émerge et provoque une insurrection, une révolte, une jacquerie. En
général, ça s’essouffle rapidement par
manque de moyens, ou c’est réprimé dans le sang vite fait, bien fait.
Quand ça dure et que c’est couronné de succès, cela
veut dire qu’il y a des professionnels derrière. Car, oui, il y a
des professionnels de la révolution, des professionnels de l’agitation
et de la subversion. Comme il faut quand même de gros
moyens pour faire tomber un État ou un régime, cela prouve de facto
qu’on a affaire à des acteurs très puissants derrière ces pseudos
révolutions, c’est-à-dire d’autres États, dotés de services
de Renseignement performants, ou des fortunes privées qui peuvent
concurrencer les États. Voir à ce sujet Roger Mucchielli, La subversion,
ainsi que les théoriciens de la
contre-insurrection : Frank Kitson, David Galula, le général
Francart.
11. Pouvez-vous revenir sur l’actualité du concept de biopouvoir que vous exposez dans votre dernier
chapitre ?
Si
l’on poursuit la réflexion de Foucault ou Agamben, on arrive au
brevetage du vivant, c’est-à-dire à sa privatisation, aux
Organismes Génétiquement Modifiés, à l’eugénisme et au
transhumanisme. Malheureusement, tout cela est d’actualité. En effet, il
existe des volontés affirmées au sein d’organisations
supranationales sans légitimité comme l’Union européenne ou
l’Organisation Mondiale de la Santé d’en finir avec la biodiversité au
moyen de textes à prétentions légales tels que le Catalogue des
semences autorisées, le Certificat d’obtention végétale ou le Codex
Alimentarius. Toutes ces prospectives sont résumées par le concept de Gestell, formulé
par Heidegger, que l’on pourrait traduire par
le « disposé ». Ou encore, au prix d’un néologisme,
« l’ingénieré ». C’est vraiment l’esprit de l’époque, la société
liquide, rien ne doit être « en dur » et rien ne doit durer, il faut
pouvoir tout réécrire, tout modifier,
tout recomposer à chaque instant car tout doit être mis à
disposition, tous les aspects de la vie, y compris les plus intimes, en
l’occurrence le code génétique des êtres vivants, de tous les
êtres vivants, de la plante à l’humain.
À
cet égard, l’initiative commune d’un Bill Gates et d’un Rockefeller de
créer sur l’île norvégienne de Svalbard une sorte de
bunker « arche de Noé » contenant toutes les graines et semences du
monde est plutôt inquiétante. Pourquoi font-ils cela, que
manigancent-ils ? Question rhétorique, le projet est
fort clair : il s’agit de commencer à privatiser toute la biosphère,
ce qui permettra de la contrôler intégralement après l’avoir
intégralement détruite. Rigidifier après avoir fluidifié,
nous sommes au cœur du Gestell et de l’ingénierie cybernétique, qui partagent le même horizon : l’automatisation complète du globe terrestre.
12. Dès lors, avec les ingénieurs sociaux, quelle humanité pour demain et dans quelle démocratie ? Peut-on
d’ailleurs encore parler de démocratie ?
On
se souvient de la fameuse phrase du générique de L’homme qui valait
trois milliards : « Messieurs, nous allons le
reconstruire. » Le principe commun de l’ingénierie sociale et du
transhumanisme tient dans cette phrase, et pour tout dire, la première
conduit inévitablement au second. (Je dois l’avouer,
moi-même j’ai été transhumaniste, mais je revendique le droit à
« l’erreur de jeunesse », dès lors qu’on en prend conscience et que l’on
fait amende honorable.) Conformément aux vœux de
leurs financiers de Wall-Street, les nazis ont été les Pères
fondateurs du transhumanisme moderne. Leur anthropologie, appuyée sur
une interprétation puérile du concept de surhomme de Nietzsche,
relevait d’un principe de transformation du donné naturel et visait à
la création d’un Nouvel Homme par
l’ingénierie génétique. Les libertaires gauchistes qui
font la promotion du transgenre et du changement de sexe ou
d’identité à volonté en sont les dignes descendants spirituels, avec
Toni Negri et Deleuze. Ils se reconnaîtraient peut-être davantage
chez les soviétiques, qui furent plus prompts à dégainer l’alibi
progressiste (« Du passé, faisons table rase ») pour défendre des
programmes similaires de reconstruction intégrale de
la nature humaine.
Et
comme on le voit sous la plume de Jacques Attali (ainsi que chez Ray
Kurzweil et Howard Bloom), la pointe fine du sionisme
fusionne également avec le projet transhumaniste et adopte à ses
heures la notion corollaire de « Nouvel Ordre Mondial », nouvel ordre
issu du chaos
selon la terminologie de l’Illuminisme anglo-saxon (voir Aldous
Huxley et consorts). En un sens, Claude Vorilhon, alias Raël, a tout
compris de son époque, lui qui imbrique le Svastika lévogyre,
symbole de destruction, avec les deux pyramides entrelacées de
l’étoile de David sur fond de clonage reproductif ! Bref, il semble que
tous les « tarés de la Terre » (et non pas
les damnés) convergent depuis toujours dans le transhumanisme.
Du transhumanisme au post-humanisme, puis au postmodernisme, il n’y a qu’un pas. En fait, c’est la même chose. Le
postmodernisme, c’est quoi ? En un mot, le postmodernisme c’est quand la copie remplace l’original. L’original est imparfait, on le remplace par sa copie retouchée et lissée, comme sur Photoshop. Le transhumanisme ou le post-humanisme remplacent l’humain original par
des copies
soi-disant améliorées, augmentées (comme la « réalité augmentée »
virtuellement). Aujourd’hui, c’est tout le monde réel qui se trouve
menacé par une
vague de déréalisation postmoderniste et de remplacement par sa copie réécrite. Le Réel c’est ce qui ne se contrôle pas. Pour arriver au contrôle total dans ces
conditions, pas d’autre choix que de détruire le Réel original et de le remplacer par sa copie virtuelle. Puis on produit des copies de copies à l’infini, pour
parvenir à un contrôle toujours
croissant. À la fin, il ne reste de l’original qu’un simulacre
complètement dévitalisé et désubstantialisé. Sur le plan
politique, c’est l’avènement de la post-démocratie, qui n’est qu’une
pâle imitation de la démocratie originale, comme on le voit dans
l’Union européenne (référendums annulés, limogeage de
Papandréou, etc.).
Idem
dans le champ des religions : il y a autant de rapports entre le
judaïsme et Israël qu’entre l’islam et l’Arabie
saoudite, ou le christianisme et les États-Unis. C’est-à-dire à peu
près aucun, en dehors de la récupération de signes extérieurs
d’affiliation identitaire, mais des signes totalement vidés de
leur substance. Le capitalisme est passé par là. Pour être juste, dans ces pays il faut donc parler
de post-judaïsme, de
post-christianisme et de post-islam. Quand le capitalisme veut se
donner un supplément d’âme pour mobiliser ses troupes, il se pare d’oripeaux mythologiques et
raconte une histoire, par exemple qu’il n’est pas fondé sur une hiérarchie de classes socioéconomiques mais qu’il agit pour une communauté culturelle ou
ethnique, etc. Bref, il joue du pipeau et tente de vous prendre par les émotions. Cela marche quand même sur les individus et les groupes sociologiques naïfs,
peu politisés, en détresse ou angoissés.
13. Quels moyens de riposte nous reste-t-il ? Où et comment nous investir ?
D’abord,
quelques mots de méthode et de formation. Il faut ne jamais oublier une
chose : nous sommes en guerre. Il faut
vivre avec ça présent à l’esprit. Nous devons donc devenir des
guerriers et faire la guerre. Il y a mille façons de faire la guerre, parfois
très détournées,
très impalpables, comme la guerre psychologique, et il y a aussi des
reculs tactiques et des pauses. Mais le cadre général, c’est la guerre
et le combat. Nous allons la mener en démocratisant la
culture du Renseignement. Au quotidien, nous pouvons être les
acteurs d’une véritable guerre de l’information très stimulante, comme
un jeu de cache-cache avec le Pouvoir et ses relais dans la
population. Que chacun devienne un agent d’influence à son niveau.
La plupart de nos concitoyens sont timorés et intimidés. Il faut donc les désinhiber, les
déniaiser en quelque sorte, et faire monter leur envie de violence contre le système, mais de manière parfaitement
canalisée et rationnelle sur le plan de
l’action et de la méthodologie du renversement. « Frapper sans
haine », comme on apprend dans les arts martiaux. Cette exigence de
rationalité scientifique dans l’action, il faut la
maintenir jusqu’au bout. Même en situation de crise, ne jamais,
jamais, jamais céder à la panique et aux émotions. Rester lucide, maître
de soi, décontracté. Surtout, ne jamais simplifier les
choses et savoir rester dans la complexité. Nous devons devenir
aussi tranchants, acérés et dangereux que la lame de l’épée, sur le plan
intellectuel et physique. Une élite, en somme.
Maintenant,
définir l’ennemi : l’Occident atlantiste et ses alliés (inutile de
développer). Ensuite, le programme :
nous allons en finir totalement et définitivement avec l’Occident
atlantiste et ses alliés, les rayer intégralement de la carte, de
Washington à Tel-Aviv, en passant par Londres et Paris, sans oublier Ryad, Doha, etc. Nous ne conserverons ce moment atlantiste et postmoderne de l’Histoire dans la
mémoire des Hommes qu’à titre pédagogique, comme un bêtisier pour rappeler tout ce qu’il ne faut pas faire, une parenthèse
pénible qui pourra être décrite comme
le règne de l’Antéchrist pour les croyants, ou comme l’âge nihiliste
du Dernier homme en termes nietzschéens, en un mot, le Mal absolu, le
stade terminal, la déjection ultime. Nous allons tirer
la chasse d’eau et passer à la reconstruction de la civilisation.
Maintenant,
les moyens. D’abord, nous devons être nombreux, c’est la seule chose
que le Pouvoir n’est pas. Il faut faire des
enfants, un maximum d’enfants. Il n’y a rien qui fasse plus horreur
au Pouvoir qu’une démographie galopante, d’où sa promotion de la
contraception, de l’avortement et ses efforts pour détruire la
famille en mettant les femmes au travail et en dressant les enfants
contre les parents. Le peuple doit
être nombreux car « Le peuple est tout », comme
dit Alexandre Douguine dans La Quatrième théorie politique. Le
nombre est notre force, mais ce nombre doit être organisé. Il faut donc
mettre les « petites différences » narcissiques au
placard, couleurs de peau, origines culturelles, croyant/pas
croyant, tout ça on s’en fout. Le peuple n’est jamais parfaitement homogène, de toute façon.
Comment
organiser le peuple ? Il faut construire un « cerveau collectif » pour
le peuple, un cerveau collectif
populaire et populiste. Ce cerveau collectif doit être fondé sur la
Tradition. Donc sur LES traditions. Si l’une tombe, les autres peuvent
prendre le relais. Toutes les traditions authentiques
peuvent s’entendre car elles convergent dans leurs principes. Ces
principes ont tous en commun d’organiser le psychisme et la société dans
une combinaison de hiérarchie et d’hétérophilie.
Autrement dit, la Loi et l’Amour. Définition de la normalité selon
Freud : « Aimer et travailler. » La formule de la Tradition, c’est donc
la « hiérarchie hétérophile ».
Symétriquement, l’ingénierie cognitive progressiste, de Hitler à
Sarkozy, essaie de désorganiser et de stériliser le peuple en lui
inoculant le virus de la postmodernité : l’anarchie
homophile, c’est-à-dire la loi du plus fort et l’amour du moi. En un
mot, l’individualisme. Ces antivaleurs doivent être les repoussoirs
absolus.
Avec
notre cerveau collectif traditionnaliste, hiérarchisé et hétérophile,
nous pouvons passer à l’attaque. La règle de l’action
doit être de se placer au niveau de ce qui est et qui ne change pas.
S’inscrire dans la durée et le long terme. Quand on analyse un système,
il y a des constantes et des variables. Il faut
distinguer les unes des autres et se placer au niveau des
constantes. Le Pouvoir, de son côté, met en œuvre une véritable
ingénierie des perceptions en multipliant les variables à l’infini, de
sorte à ce qu’elles capturent notre attention et que nous ne
percevions jamais les constantes. L’ennemi veut nous plonger dans le
court terme, la panique, toujours pour nous désorganiser. Il faut
donc se placer du point de vue de l’éternité. Nous sommes
l’éternité. De ce point de vue, il faut ensuite faire feu de tout bois,
attaquer sur tous les fronts en même temps sans en oublier aucun.
Nous allons irriguer tout le corps social de manière capillaire de
sorte à rétablir en tout lieu la Loi et l’Amour. Comme nous sommes dans
une guerre culturelle, il faut veiller à notre hygiène
mentale. À ce niveau, la priorité absolue, qui ne coûte rien, au
contraire, consiste à se séparer définitivement de la télévision, qui reste le principal outil
de management des perceptions du Pouvoir.
Pour ma part,
je n’ai plus de télé depuis des années, ça change la vie, car vous
n’êtes plus
sous l’influence virtualisante des images qui vous dépossèdent de
votre propre vie mentale. Sans télé, vous récupérez votre souveraineté
cognitive, vous gagnez en « réalisme », en
capacité à voir les choses comme elles sont et pas comme on vous dit
de les voir. À propos des médias, de la désinformation et de la
ré-information, comme le dit Thierry Meyssan, les Français
n’ont plus d’autre choix aujourd’hui que de s’informer à l’étranger.
Plus largement, il faut éviter dans la mesure du possible de s’informer
à des sources occidentales « grand public »
et se ré-informer auprès des médias non-occidentaux. Les médias
occidentaux ou pro-occidentaux mainstream doivent mourir.
Sur
le plan de l’insertion sociale et professionnelle, il faut « faire
carrière ». Constituer l’analogue des réseaux
de sayanim ou de francs-maçons pour les concurrencer sur leur propre
terrain, dans les institutions publiques, pour les revivifier de
l’intérieur, mais aussi dans les secteurs privé et
associatif, et jusqu’en cherchant des alliés à l’étranger. Dans
l’institution, s’investir dans ce qui reste de l’État, la fonction
publique, les partis (UMPS et
autres), les syndicats, la police, l’armée et travailler à y
renforcer toutes les tendances souverainistes qu’on aura repérées, de
droite comme de gauche, le but de la manœuvre étant de
reconstruire une authentique démocratie nationale. Certes, il n’y a
plus aucun contre-pouvoir institutionnel en France. Il faut donc le
recomposer en s’appuyant sur les structures déjà
existantes. Cela exigera nécessairement de dé-mondialiser, sortir de
l’Union européenne, de l’Euro, de l’OTAN et d’abolir la fameuse « loi
de 1973 » pour rétablir un authentique
protectionnisme économique.
Abattre, ou du moins affaiblir, le système bancaire est essentiel car, dans le fond, il est purement parasitaire.
Il faut laisser le moins d’argent possible à la banque, ou alors dans
des banques non-occidentales. Le bank run complet est un idéal vers
lequel il faut
tendre, mais il est difficilement pratiquable pour la plupart des gens. Il faut essayer quand même de dé-virtualiser nos biens et de re-matérialiser notre
capital au maximum, par exemple,
dans les métaux précieux ou l’immobilier. Si on n’a pas beaucoup
d’argent, acheter des objets utiles pour le bricolage, des
denrées alimentaires non périssables, des graines et des semences,
ou un petit terrain, voire un garage, une cave, un grenier, un comble,
un box. Bref, convertir tout ce qui n’a qu’une valeur
d’échange, une valeur fiduciaire, sous format papier ou numérique,
en choses à valeur d’usage, valeur réelle et concrète.
Dans le privé, il faut faire carrière également partout avec le même objectif souverainiste,
et en particulier dans les médias
et l’Intelligence économique, qui restent des secteurs d’avenir dans
nos sociétés tertiarisées, mais aussi dans l’agriculture
et l’industrie, si possible. Dans l’associatif, s’investir dans
divers mouvements, les « villes en transition », la relocalisation, le
survivalisme (à condition qu’il abandonne ce qui
reste en lui d’égoïsme concurrentiel libéral), les monnaies
alternatives et complémentaires, où l’on apprend à s’organiser
concrètement en dehors du capitalisme. La reconquête locale d’une
souveraineté alimentaire, énergétique, puis économique et politique
permet d’améliorer la résilience, la capacité de résistance aux chocs
infligés par le
capitalisme et son mode de fonctionnement par
la crise, la délocalisation et le déracinement. Comme disait Sun-Tzu,
« Gagner, c’est rester en vie ».
Tant que nous sommes en vie, quelles que soient les conditions de
cette vie, l’ennemi n’a pas gagné. Donc nous ne perdons pas. Donc nous
gagnons.
Il faut agir localement, mais ne pas oublier de penser aussi globalement. Pour cette raison, il faut soutenir tous les pays
libres, et en particulier la Russie, la Chine, l’Iran, la Syrie, le Venezuela, Cuba, la Hongrie. Il faut également soutenir tous les résistants partout
dans le monde : les Khadafistes en Libye, les combattants
antioccidentaux en Afghanistan, en Irak, en Palestine, au Liban… Il faut
apprendre les langues de ces
pays et créer des liens avec eux, leur envoyer de l’argent, puis
ré-informer les populations occidentales sur ce qui s’y passe vraiment, à
savoir que les gens sont plus heureux là-bas que
par chez nous et qu’il ne faut
pas croire un mot de la propagande de guerre visant à les salir.
L’oligarchie occidentale ne craint qu’une chose : que les
peuples qu’elle est en train de martyriser, à commencer par les Grecs et à suivre par nous, se tournent vers des pays
non-occidentaux pour y trouver du soutien, d’abord moral et plus si affinités. L’oligarchie craint par-dessus tout que l’on puisse comparer
les systèmes de société et que cela soit en défaveur du système dans
lequel elle veut nous faire rester. Elle veut que nous aimions notre
cage et nous inoculer le
syndrome de Stockholm afin que nous aimions notre bourreau. À cette
fin, les pays non-occidentaux sont décrits dans les médias comme
« autoritaires », ou pires encore, des horribles
dictatures, où les gens sont malheureux, persécutés, assassinés, les
élections truquées, etc.
Balayons devant notre porte et ne cessons jamais de rappeler la triste réalité de l’Occident atlantiste : dictature
des banques, démocratie virtuelle, référendums annulés et scrutins trafiqués par
diverses méthodes, fiction totale de la « menace terroriste » ici,
mais soutien au terrorisme ailleurs, kidnappings de milliers
d’innocents dans des prisons plus ou moins secrètes où on les torture en
douce, épidémies de dépressions, de cancers, de divorces et
d’enfants obèses ou hyperactifs, etc. Le multiculturalisme, qui
permet de comparer les codes
culturels, donc de les critiquer, est l’ennemi frontal de
l’oligarchie occidentale car il ouvre sur autre chose que son modèle
unique de société ; raison pour laquelle cette oligarchie essaie de
remplacer le multiculturalisme et la pluralité des
nations souveraines par un seul monde sans frontières où règnerait la monoculture occidentale libérale-libertaire. Abolir les éléments de comparaison.
Et
quand le soft power ne suffit plus, l’oligarchie du capital continue sa
colonisation à coup de bombes et d’invasions
militaires sous prétexte humanitaire et en invoquant le droit
d’ingérence et les « droits de l’homme ». Une des initiatives les plus
prometteuses de ces dernières années pour contrer
tout cela est le mouvement lancé depuis la Russie par
Alexandre Douguine, notamment au travers de la Global Revolutionary
Alliance, qui vise à défendre la
multipolarité au niveau géopolitique. Il semble bien qu’en outre ce
soit la ligne idéologique du Kremlin. Nous pouvons donc nous adosser à
un État qui possède des armes de pointe et en
particulier la Bombe, condition
sine qua non pour avoir les moyens de défendre des idées de manière
conséquente. Pour agir plus près de chez nous, il existe de
nombreuses structures françaises ou francophones souverainistes qui
me paraissent adéquates, je ne refais pas la liste.
Le principe directeur de notre action doit être d’empêcher par tous les moyens possibles et
imaginables la constitution d’un gouvernement mondial, par
une guerre atomique si nécessaire, car un gouvernement mondial serait
pire que l’Armageddon
thermonucléaire. Pour Baudrillard, la véritable apocalypse n’était
pas la fin réelle du monde, sa fin physique, matérielle, assumée, mais
son unification dans ce qu’il appelait le
« mondial », ce que l’on appelle aujourd’hui le mondialisme, et qui
signait la vraie fin, le simulacre ultime, le « crime parfait »,
c’est-à-dire la fin niant qu’elle est la fin, la fin non assumée,
donnant l’illusion que ça continue. La Matrice, comme dans le film, si
vous voulez.
L’Histoire
s’arrêtera, ce sera la fin du monde, le jour où il n’y aura plus au
moins deux blocs, deux Pouvoirs. Faisons donc
vivre la dualité, l’antagonisme, le rapport de forces. Notre ennemi
doit le savoir : nous allons nous battre. Cela tombe bien car nous
aimons nous battre, nous adorons ça, nous n’aimons que
ça, c’est le sens de notre vie, nous n’arrêterons donc jamais car la
paix nous ennuie. Le combat, le polemos, c’est la vie, comme disait
Héraclite. C’est dans le combat que nous nous sentons
vivre et que nous sommes heureux. La perspective de l’affrontement
nous remplit de bonheur, nous commençons à sourire et nos yeux brillent
quand l’heure de la bataille approche. Et nous ne sommes
jamais fatigués, jamais découragés, et nous revenons toujours à
l’assaut car la victoire n’est même pas le but, car nous aimons le
combat pour le combat et qu’il est en lui-même la récompense. Et
c’est ainsi que ceux qui aiment la vie en tant qu’elle est combat
deviennent invincibles et ne peuvent que gagner. Car la victoire, c’est
de se battre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire