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mardi 6 décembre 2011

Les Tunisiens ont soutenu les Libyens quand leur pays était en guerre mais ne voient plus de raison pour continuer à le faire aujourd’hui"

"Les Tunisiens ont soutenu les Libyens quand leur pays était en guerre mais ne voient plus de raison pour continuer à le faire aujourd’hui"

Badiâa Boulila est étudiante, elle habite à Ennasser, l’un des quartiers prisés par les Libyens dans la capitale.


On ne connaît pas encore les circonstances exactes de la mort de cette jeune fille. C’est comme si les gens étaient prédisposés à manifester contre les Libyens et qu’ils attendaient la première occasion pour le faire. Par ailleurs, le fait que cela se passe en plein centre-ville, sur l’avenue principale, a aussi facilité le regroupement.

Ces tensions ne sont pas nouvelles. Dernièrement, plusieurs incidents ont émaillé les relations entre Tunisiens et Libyens. L’été dernier par exemple, une jeune prostituée a été éjectée depuis le troisième étage d’un immeuble par deux Libyens. Un autre incident a eu lieu il y a trois semaines, lorsque des Tunisiens soutenant le régime syrien sont allés manifester devant le bureau de la Ligue arabe à Tunis pour protester contre les sanctions imposées à la Syrie. Ils ont été attaqués par des Libyens qui désapprouvaient le motif de leur mobilisation.


Accrochages entre Libyens et Tunisiens devant le bureau de la Ligue Arabe à Tunis.

Certains Tunisiens considèrent que les Libyens ont une attitude provocatrice. Notamment les pro-Kadhafi qui sont venus s’installer dans les quartiers résidentiels de Tunis, comme Ennasser. Pendant la guerre, ils affichaient ouvertement leur sympathie pour le régime libyen et on les reconnaissait grâce aux plaques d’immatriculation de leurs voitures [les plaques des voitures des sympathisants des rebelles portaient les nouvelles couleurs libyennes]. Certains faisaient preuve également de beaucoup d’arrogance dans la ville, où ils harcelaient les filles dans la rue.

Mais depuis quelques temps, la situation s’est aggravée. Des Libyens armés ont été arrêtés ces dernières semaines dans le sud du pays. Au point de passage de Rass Jdir, à la frontière tuniso-libyenne, il arrive aussi que les gardes-frontières soient attaqués par des Libyens armés qui refusent de s’arrêter au contrôle [le dernier incident a eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche]. D’ailleurs, les autorités libyennes ont reconnu ces faits et ont promis d’agir en conséquence. C’est ce qui explique le ras-le-bol des Tunisiens. Ils considèrent qu’ils ont soutenu les Libyens quand leur pays était en guerre mais ne voient plus de raison de continuer à le faire aujourd’hui et encore moins depuis que leur présence est associée à une montée de l’insécurité. Et ce même si ces incidents sont, au final, le fait d’une minorité."


Badiaa Boulila

"La présence de Libyens en Tunisie a développé un véritable 'marketing de guerre'"

Siham S. vit à Sousse, ville touristique à 140 kilomètres au sud de Tunis qui a accueilli un grand nombre de réfugiés libyens. Elle s'est rednue à Rass Jdir pour venir en aide aux réfugiés fuyant le conflit libyen.


Personnellement, je ne pense pas que le sentiment anti-libyen soit général en Tunisie. Quand j’étais à Rass Jdir [poste-frontière entre la Tunisie et la Libye], j’ai surtout eu à faire à des réfugiés subsahariens (Maliens, Somaliens, etc.) qui travaillaient en Libye et qui ont dû quitter le territoire pendant les violences. En revanche, on trouvait peu de Libyens dans les camps car la plupart était accueilli au sein même des familles tunisiennes du Sud qui tenaient particulièrement à les aider. Je n’ai pas non plus entendu de discours xénophobes à Sousse où je vis.

Il est vrai que l’arrivée des Libyens a contribué à augmenter le coût de la vie à Sousse. Les loyers ont augmenté. Moi-même qui suis en train de déménager, j’ai eu du mal à trouver une maison car la plupart des propriétaires préféraient louer aux Libyens à la semaine et pour des prix plus élevés. Pendant le conflit, il y a eu aussi une pénurie de bouteilles d’eau minérale car la majorité des stocks passaient en Libye donc le prix a doublé. Enfin, dans certains endroits de la ville déjà connus pour être des lieux de prostitution, on a commencé à apercevoir des filles faire le trottoir au vu et au su de tout le monde en soirée, pendant l’été, alors que leurs activités étaient beaucoup plus discrètes avant.

Cependant, il faut voir aussi les bons côtés. La présence de Libyens en Tunisie a développé un véritable 'marketing de guerre'. À la moindre occasion, ces derniers sortent les nouveaux drapeaux à vendre ou des plaques d’immatriculation aux nouvelles couleurs de la Libye. Il y a aussi beaucoup d’objets artisanaux tunisiens qui portent désormais les couleurs libyennes. Cela contribue à faire fonctionner le commerce. Même les touristes en achètent !

Je pense que la plupart des Tunisiens se disent que ce n’est que temporaire et que les Libyens finiront bien par rentrer chez eux. Il faut effectivement relativiser les choses. D’ailleurs à la radio, on entend beaucoup parler ces derniers temps de nouvelles perspectives d’emploi en Libye, sitôt que les choses seront stabilisées. Et avec le taux élevé de chômage chez nous, peut-être qu’à leur tour des Tunisiens iront vivre en Libye."

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